L’océan des temps prend sa source dans une poésie du poète français d’origine lituanienne Oscar Milosz (1877-1939) intitulée Solitude. Il s’agit d’une œuvre musicale qui touche à la sémantique et à l’écriture poétique. Le poème de Milosz est projeté dans un espace virtuel en appliquant le concept, cher au compositeur, de mélodie solide : chaque mot, groupe de mot ou élement sonore associé est représenté par un point dans un espace abstrait géométrique. Par une sorte de mouvement de caméra, on se promène dans cet espace qui devient un espace sémantique. Le compositeur procède de façon à ce que les mots empruntés au poème de Milosz soient énoncés dans un ordre qui n’est jamais celui du poème originel : le nouvel ordre des mots leur donne un sens différent, plus personnel, parfois plus mystérieux, tout en restant dans le champ lexical de la poésie.
Les phrases sont lues lentement, puis répétées dans de grands cycles telle une litanie. Mais au fil de leur énoncé, par le déplacement de l’angle de visualisation (ou plutôt d’écoute) certains groupes de mots sont réorganisés, des mots sont échangés, permutés ou d’autres mots enrichissent la phrase de façon à faire évoluer progressivement et continûment son sens.
Souvent, une simple permutation de deux mots éclaire la phrase sous un jour nouveau : des ambiguïtés sémantiques sont créées ou bien résolues. Parfois, est introduit du non-sens, par une juxtaposition improbable de mots, comme une sorte de cadavre exquis surréaliste, ou encore par une accumulation très dense de mots dans laquelle la complexité des flux superposés dépasse la perception auditive. Parfois encore surgissent des mots fantômes : des mots qui ne sont pas présents dans la poésie mais que l’on perçoit du fait du croisement de deux mots sur des plans sonores différents. A d’autres moments, la signification bien précise d’un mot bascule dans un tout autre sens, du fait de la variation du contexte sémantique qui l’environne : ce sont des jeux d’homonymie et de polysémie.
Cette pièce est donc une sorte de jeu de déconstruction/reconstruction de la poésie, mais qui procède de façon très contrôlée : aucun croisement de sens, d’apparence impromptue, n’est fortuit. La mélodie solide est parcourue selon des trajectoires précises qui racontent une histoire. Pas uniquement celle dépeinte par le poète : l’histoire est amplifiée par la propre histoire du compositeur (par le choix des croisements de mots, l’accent est mis sur des notions plus personnelles) et aussi celle des auditeurs car le pouvoir sémantique fait toujours résonner les mots de façon intime.