La notion d’organicité, précise Étienne Souriau, « est d’une grande importance en esthétique et peut y guider bien des analyses ; elle conduit en effet à rechercher quelles sont les fonctions essentielles à la constitution du tout, et comment les différentes parties agissent les unes sur les autres et se tiennent entre elle » [1]. Les spéculations autour du modèle organique, qui s’étendent à la fois au monde animal et au monde végétal [2], ont en effet suscité des réflexions qui ont mené à des innovations diversifiées, aussi bien dans les arts que dans les sciences et ce, malgré l’imprécision de sa définition. Il faut dire que, dès qu’il a été identifié et que ses caractéristiques générales ont été établies, le modèle organique a été assimilé à une qualité sensible relevant de la beauté, corollaire de l’unité morphologique du vivant. C’est de cette unité que découle toute la richesse de son expression artistique en architecture, en peinture ou en musique. Mais, ce n’est pas tant ce critère qui a été retenu dans les sciences dans la mesure où le modèle organique fournit des méthodes de travail essentiellement empiriques. C’est pourquoi, comme nous le verrons, le rôle de l’organique a évolué au fil des siècles : d’un modèle d’unité très présent dans la pensée grecque, il est devenu un modèle métaphorique, au 19e siècle, puis a été renouvelé, aujourd’hui, en un modèle fonctionnel. Le scientifique peut dégager du modèle organique des propriétés spécifiques aux êtres biologiques, qui seront transposées dans l’industrie. Mais avant de développer cet aspect du modèle organique et son expression musicale qui reste d’actualité, nous allons brosser quelques étapes de son histoire et constater que, dès sa définition, il se pose en une double proposition dont le rapport mixte conduira à une théorie de la forme plus vaste.
[1] É. Souriau, Vocabulaire d’esthétique, Paris, PUF, 1990, au mot Organique, p. 1098.
[2] Les arguments organicistes puisent davantage leur source dans l’animal que dans le végétal par anthropomorphisme : l’homme est principalement au centre des discours. Les deux règnes du vivant présentent des caractéristiques différentes : l’animal est conçu dès sa naissance comme un tout, tandis que le végétal est composé d’une multitude d’éléments identiques et autonomes, pouvant se régénérer. Pour une étude complète, on se reportera à J. Schlanger, Les métaphores de l’organisme, Paris, L’Harmattan, 1995 (1re édition 1971), qui développe la notion d’organisme comme justificatif de la pensée socio-politique de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. « Dès qu’il ne s’agit pas de la vie personnelle et de l’intériorité morale, c’est-à-dire dès que l’homme n’est pas le paradigme de l’organicité, le végétal l’emporte sur l’animal. » (p. 200)